lundi 25 janvier 2010

24 janvier - Pushkar sun




Aujourd’hui, envie de soleil. De soleil, de chaleur. No emotion more. Et de photos. Je commence par un double électric café chez Nizam accompagné d’un double toast au chocolat. J’y croise avec plaisir mon copain belge, Fred. Chouette, il a repris des couleurs. Conversation très intéressante. Il me donne ma première leçon d’hindi. Une nouvelle expression et qui convient très bien à la philosophie serendipity : “tora tora” (à ne pas confondre avec le cri de guerre des samouraïrs japonais), soit “peu à peu”, “petit à petit” ; ce que je traduirais par : step by step, un jour à la fois.

Ma matinée se passe à lézarder sur la terrasse de la guesthouse. Grosse chaleur. Les diverses rumeurs qui m’environnent, les chants diffusés par les haut-parleurs, les clochettes, ... font de ce bain de soleil un moment très doux et quasi spirituel. Encore ce mélange qui fait sans doute l’un des secrets de ce continent - car c’est un continent comparable à l’Afrique ou l’Amérique, plus qu’un pays même s’il est unifié.


Il n’y a pas “une” Inde ; mais tant et tant ... D’une telle richesse, d’une telle diversité, d’une telle intensité aussi pour qui ne se contente pas d’un voyage de 10 jours derrière les vitres d’un autocar grand luxe (mais c’est l’une des multiples manières de découvrir “india”). Chacun son truc, c’est tout.

Rien ne se passe, ici, comme on l’espère ou comme on le voudrait. C’est sans doute pourquoi on ne peut qu’adopter une attitude de sagesse et de détachement : shianti shianti, tora tora. A Pushkar, j’ai réalisé que les habitants ne comprenaient pas qu’on puisse être pressé. Qui cherche vraiment à vire le “slow life” trouve à Pushkar un cadre idyllique. Les positions assises ou accroupie paraissent multiples ... (j’ai appris que celle de “loiseau”, sur son banc en train de manger, vue hier au resto, est l’une des plus difficiles).


Je repense à mon expérience chez les Bhopa, les mendiants dans la rue ; nous en parlons avec Fred. A tout moment, il faut se positionner. L’Inde n’est pas Paris où, tout de même, existent quantités d’associations et d’infrastructures. Un gypsy indien n’est pas un gitan européen même si l’on peut trouver des points communs. Notre image du gitan européen est celle du mendiant en mercédès mais ici, je ne vois pas de grosse berline allemande. Du reste, européen ou indien, notre rapport au gitan n’est-il, pas d’abord, et inconsciemment, commandé par notre objection au sans domicile assigné ? Ne pas avoir d’adresse est si peu normal. Suspect même. Mes Bhopas sont sédentaires et se transmettent de père en fils un art authentique, à la fois artisanal (la frabrication de l’instrument) et musical. Et c’est une caste ; c’est une dimension supplémentaire qui les distingue de gitans européens.

Vers midi, je m’en retourne chez Nizam où je savoure à pamoison un steack veg’ comme je n’avais jamais mangé. Un vrai chef, ce Nizam. Alors que je m’amusais à prendre en photo les récipients servant au café - bol alu de lait chaud, bol alu cabossé contenant le sucre blanc grossier, bol/tasse à café - une femme s’adresse à moi ; Valérie, marseillaise, a tout quitté pour voyager durant 3 ou 4 ans. Mais la conversation a davantage tourné autour de Marseilles qu’elle apprécie beaucoup. Au fil du temps elle s’est spécialisée en massage et c’est en Inde qu’elle y apprend beaucoup.


Après le “salam” à Nizam, je me mets en route pour les photos. J’ai décidé de faire tout le tour du lac. Je vois avec surprise quelques copains gitans (caste des Nuds) courir vers moi ; et nous voilà partis tous ensemble. Je m’arrête régulièrement pour capter quelque chose, je cherche ... La plupart des temples vides et sans vie en raison de la sécheresse du lac (ne restent que quelques bassins, du côté de notre guesthouse) font songer à une ville fantôme. Tout est comme à l’abandon, poussiéreux, immobilisé dans le passé.


Comment éviter la carte postale ? Un incident me met sur la voie : mes petits copains, qui connaissent le coin comme leur poche, m’emmènent à l’entrée d’un des nombreux temples qui entourent le lac cette année assêché. Un brahmane surgit et me tend quelques pétales, m’invitant à une puja - je décline gentiment. Ici, faire ce type de puja est aussi - il me le dit lui-même - le “passeport” qui permet au touriste de se promener ensuite librement tout autour du lac. Je sens bien que le courant entre le brahmane et les enfants ne passe pas. Et ceux-ci m’expliquent que les prêtres n’aiment pas les enfants pauvres. Je leur dis qu’un prêtre qui n’aime pas les enfants pauvres n’est pas mon ami. Nous continuons la progression et tout doucement, je commence à percevoir cette ville autrement. Je me sens devenir anarchiste et iconoclaste et je trouve de tout autres angles pour les photos de temples. Jusqu’à quelques photos sans doute politiquement (et religieusement) incorrectes. En espérant que les shiva et vishnu aiment, eux, les enfants pauvres. Nous nous sommes bien amusés (et j’ai toujours pensé que dieu avait les idées larges).



On peut dire ce qu’on veut des marchands de et du temple (et même en ne mettant pas tous les brahmines dans le même sac, dieu merci, il en est d’intègres) : les prêtres de Notre Dame de Paris n’entraînent pas de force le touriste dans le confessionnal pour lui soutirer 25 euros. Je suis très sensible à la profondeur et la sincérité des aspirations religieuses et mystiques ; mais l’instrumentalisation des rituels à des fins purement financières, ça fait plus que m’insupporter.

J’avais promis à mes jeunes copains un tchaï à la fin de la ballade photo, dans un café tout à fait retiré, agrandi, à l’arrière, par un beau jardin, café devant lequel nous étions passés. J’avais adoré l’endroit, je m’y étais sentis comme en Afrique. Durant notre ballade nous avions beaucoup ri et je m’étais bien amusé. Une fois à table, mes compagnons me demandent un plat ... ; j’accepte dans une certaine gamme de prix et nous tombons d’accord. Mais l’un d’eux, raju, en veut plus et me demande de lui acheter, pour sa famille, de la farine. Longue discussion ... Intérieurement, je suis tiraillé et de plus en plus triste. Raju se met à pleurer et je ne sais que penser.

Finalement nous quittons le jardin-café et ... ils auront eu leur farine.


Tagore dit qu’il est dangereux d’être trop bon et cette sentence est pleine de sagesse.

Comme me le disait Fred se matin, il faut se positionner. Autant je me sens assez clair - ici comme à Paris - par rapport à la mendicité, autant, une fois qu’un lien affectif s’est créé, les frontières se brouillent. Et les limites fixées volent en éclats. Reste que sachant ce que j’ai et ce que je n’ai pas, la décision de partager est difficile et même douloureuse. Car il pourrait être dangereux d’être top bon - mais si le danger est évident, quelle est la frontière du “trop” ? Les pauvres sont souvent capables de donner même ce qu’ils n’ont pas et c’est loin d’être le cas des nantis. Et le Christ louait cette vieille femme qui précisément avait donné en offrande au temple “en prenant sur son nécessaire” - et pas sur son superflu.

Nijinski qui n’en rate pas une (“la bourse est un bordel”) écrit platement : “le pauvre est un riche qui n’a pas d’argent”. Et les pauvres se font la guerre et s’arnaquent entre eux (ils n’arnaquent pas que les riches). Survivre est l’enjeu. Mais quelle leçon de morale le nanti est-il en droit de donner s’il exploite et asservit son semblable pour augmenter son capital ou supprimer un concurrent ? On n’aime pas se faire arnaquer par un pauvre ; mais ce qu’on n’aime encore moins, c’est le pauvre lui même (“salauds de pauvres”, disait Coluche). S’il est de plus sans adresse ni domicile, il est le suspect et le parasite. On n’aime pas se faire arnaquer par un pauvre - mais on ne trouve rien à redire à l’arnaque scientifiquement et internationalement organisée de la publicité. Vive la com’. Le riche n’aime pas que le pauvre fasse comme lui : car chez le pauvre, l’arnaque est visible.


Mais ici les pauvres, et surtout les enfants : rient.

J’ai appris de mes compagnons la raison d’un fait qui m’interroge depuis mes premiers pas sur le béton de Delhi : les Indiens crachent à tout bout de champ et n’importe où. D’après mes infos, c’est à cause du tabac u’qils chiquent.

Durant le déjeuner, j’ai eu le bonheur de voir grimper sur mes genoux le chat de Nizam - c’est seulement le deuxième chat que je vois en Inde. Il est vrai que pour eux, les rues sont très dangereuses ...

Quant à Fred, il m’a donné ce matin une très, très précieuse info ... Oui, on peut faire l’Inde à moto, mais pas avec n’importe laquelle. Pour 400 ou 500 euros, on peut s’acheter ici, neuve, une Royal Enfield. Aucune électronique à bord, hyper costaud. Mécanique pure. Donc réparable partout ; c’est la moto des travellers (mais ce sont aussi les motards occidentaux qui se font le plus tuer sur les routes. Après mes rodéos motocycliste d’hier, je comprends pourquoi).

J’ai achevé cette journée dans la “cellule” quasi monastique qui me sert de chambre. Toute de bleu vêtue, simple et sobre, vue sur le lac, chants liturgiques et cloches de prière.


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