jeudi 4 février 2010

Prologue ...



A FLOR, Flor de Vida (et qui m'a mis en contact avec Fior di Loto)

je dédie ce voyage - ce blog - ces photos - et celles à venir

A mes 3 chéries aussi

A Venmani, mon frère, arrivé de Mumbaï dans notre famille à l’âge de 3 ans (il a 31 an cette année).

Aux boutons de rose de Fior di Loto

A tous ceux qui, outre Flor, auront rendu possible ce voyage : François, Esa Danouchka, Dominik.




Pour ne pas conclure, quelques pensées divers, à chaud, après 3 semaines d'un voyage secouant et inoubliable, la tête, le coeur, rempli d'images, d'odeurs, de sensations, d'émotions et surtout de tant de regards ...

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Parler de “l’Inde”, est-ce possible ? C’est un continent. 1 300 000 d’habitants je pense. Autant de regards. De vies. 5000 ans d’une histoire mouvementée. D’être ici a, dès la première minute, réveillé en moi les souvenirs d’Afrique et si je me sens ici “at home” c’est sans doute aussi à cause de mon passé africain. Ma propre perception de l’Inde passe sans conteste par mes sensations africaines enfouies (chaleur, soleil, immensités, décalage technologique, ...). L’inde de l’un n’est donc pas l’Inde de l’autre. Certains repartent malades au bout de quelques jours, d’autres jettent leur passeport ... Certains évitent l’Inde et préfèrent le Népal, plus simple ; d’autres ne peuvent se passer de l’Inde... Il y a autant de rapports à l’Inde qu’il y a de personnalités.

Alors comment décrire ce continent ? Je renonce à toute prétention d’objectivité.

Je n’ai rien lu sur l’Inde avant de venir ; je n’ai emmené aucun guide. Je me suis contenté de voir sur le site du Routard qu’il fallait faire une photocopie de tous les documents importants (ID, passeport, billet d’avion) et se méfier, à l’arrivée à l’aéroport de Delhi, des pseudo “agents” de taxi ... Pour le reste, mon imaginaire préalable était formé par les films super 8 que mes parents avaient ramené d’Inde à la fin des années 60 ; de quelques films et des cartes postales habituelles ; d’un très beau documentaire sur la spiritualité/médecine ayurvedique. J’ai cherché à aller au contact, aussi brut que possible.

Donc que dire, que montrer, compte tenu du peu que j’y suis resté et du peu de lieux divers que j’ai vus ? Le “souk” de Delhi et la ville sainte de Pushkar dans le Rajasthan. Je pensais ne rester que quelques jours à Pushkar puis Flor et moi pensions voyager un peu dans le Rajasthan. Et puis de jour en jour ... de plus en plus difficile de quitter cet endroit. Les autres villes ? Une autre fois ... shanti shanti ! Car s’affirme encore plus nettement pour moi qu’en Inde, l’important ce n’est pas l’argent (quoi que ... mais on se comprend), mais le temps. Découvrir un lieu, savourer une atmosphère, décoder les signes (ce qui, de prime abord - objet, geste, attitude - paraît beau et noble ne l’est pas forcément ou inversement), nouer des contacts locaux, dépasser l’Inde carte postale où tout est beau et parfait, tout prend du temps. Tester prend du temps ... trouver, recouper les informations, prend du temps. Le transport prend du temps ... Amin me disait “Nothing is right in India”. C’est un joyeux - et parfois cruel - chaos. Un oignon dont il faut peler plusieurs peaux. Mais combien de peaux y aura-t-il à peler ? Je l’ignore. Et pour aboutir à quoi ?

Je ne sais pas ce que j’ai montré de “L’Inde” par mes photos. Est-ce d’ailleurs l’Inde ? Laquelle ? Mon travail photo est encore un balbutiement ... Un photographe professionnel rencontré ici, Olivier, s’est donné 5 ans pour aboutir à un livre de photos sur ce subcontinent. Je comprends pourquoi.

De mes propres aventures et mésaventures (mais très enrichissantes pour moi aussi ...), de mes discussions avec Flor, Laurent, Deepu, Kam, il ressort au moins une chose, et c’est Kam qui me le disait l’autre soir : par principe, il faut se méfier. Et la seule façon de savoir si quelque chose, qui semble formidable, l’est vraiment, c’est de tester. “Tora tora”, peu à peu ... Elle-même, très impliquée dans la Fondation Fior di Loto, a d’abord testé.

“Mélanges” est le mot qui me vient cependant sans cesse lorsque je dois parler de ma perception de l’Inde. Mélanges constants des extrêmes, ambiguités. Urines et encens. Grâces et horreurs. Beautés de certains corps, mutilation des autres. Et tout se mixe, se croise. Sucré et hot chili. Spiritualité la plus exigeante - les sadous de l’Himalaya - et la superstition la plus kitch ; beauté de ces femmes pourtant quasi réduites en esclavages. Ces belles cartes postales de femmes en sari safran ... mais ce que peut, aussi, endurer ici une telle femme ! J’en ai vu plein aujourd’hui à Delhi sur des chantiers. Ailleurs portant d’immenses tas de bois pour le feu. Cachées par leur père, leur mari. Le Kama sutra, c’est pour les occidentaux. Je doute que ce soit réellement vécu ici dans les couples (un indien avouait même n’avoir jamais pu voir sa femme entièrement nue). Je me sens d’autant plus proche du projet de Fior di Loto. L’argent et le besoin d’argent omniprésent. Mon chauffeur de taxi gagne en moyenne 5000 roupies par mois, même pas 60 euros. Mais l’argent n’est pas un tabou, il fait partie intégrante de l’hindouisme. Mélanges : tants de langues, de religions (sikhs, hindous, musulmans, quelques chrétiens, jaïns, ...) ; rigidités ancestrales : castes, statut des femmes. Mais jusqu’où va le mélange dans ce pays de castes ?

“Débordement”, “croissance perpétuelle”, “bouillonnements”, “profusion”, “prodigalité”, “grouillements”, vie (vie et mort) sous toutes ces formes, autres mots clés, peut-être.

Les vaches, partout, qui s’abandonnent en pleine rue. Respectées, sacralisées (le gouvernement a vainement tenté, à Pushkar, de les faire interdire dans les rues pour raisons sanitaires ; car les vaches mangent n’importe quoi mais impossible. Comme Raju qui pour échapper à la loi de sa caste a tenté sa chance à Londres. Et pourtant de l’usine où il a atterri, et après un divorce avec une anglaise, il semble souhaiter revenir parmi les siens.

“Spontanéité”, “facilité” de contact : riche ou pauvres, chauffeur de taxi, policier, gardien, boutiquier (évidemment ...), saddhou, babas (sorte de “sdf religieux”, propres à l’Inde sans doute), gypsies, ... Mais rencontré si peu de femmes indiennes .... en dehors de Kam et des gitanes ... L’une, très occidentalisé ; les autres, marginales assumées ... Où donc est la femme indienne (hindoue, musulmane), cet être caché et que l’on cache mais que l’on n’hésite pas à faire travailler comme des hommes sur des chantiers, le long des routes ou derrière les hôtels ? Une fois mariée, elle semble coincée chez elle selon son statut social, sa caste (sinon, je suppose que ce sont surtout les femmes de basse caste que l’on voit travailler en rue ou sur les chantiers). La femme hindoue de basse caste : sans doute la pire condition en Inde ... Les hindous, d’ailleurs, se convertissent facilement à l’Islam pour échapper à la loi d’airain du système des castes.

Pas vu, ou de très loin, l’Inde politique - seul Deepu m’a parlé de la corruption généralisée, quasi impossible à faire évoluer. L’Inde des conflits interreligieux, l’intégrisme hindou n’ayant rien à envier à l’intégrisme musulman (mais il me semble politiquement incorrect de l’affirmer ... pour les occidentaux). Résultat de siècles de rapports tendus entre les 2 religions. Gandhi s’y était frotté toute sa vie.

Rien vu non plus de l’Inde très contemporaine, riche, cultivée, occidentalisée des grandes villes. A peine vu leurs villas et leurs voitures. Delhi ne manque pourtant de lieux très “hypes”. Pour une autre fois.

Inde en manque de créateurs authentiques. En manque, semble-t-il, de la connaissance de ses propres héritages artistiques (on copie l’Occident à qui mieux-mieux). Il paraît que de nouveaux designers apparaissent. Comme me le disait Flor, un vrai sari n’a rien à envier à notre haute couture. Mais si peu d’Indiens eux-mêmes semblent le savoir. Je me rappelle le Tintin au congo de mon enfance : le “nègre” préfère acheter un haut-de forme européen ...

Rien vu, non plus, de l’Inde telle que semble la pratiquer nombre de travellers rencontrés à Pushkar : apprentissage de la musique indienne, des massages ayurvédiques, de la méditation (ce ne sont pas les “yoga centers” qui manquent). Mais tous ces occidentaux inculturés dans leur étrange accoutrement mi-rasta mi baba-cool ... Cela dit, j’ai ressenti aussi peu à peu qu’on pouvait de manière très naturelle revêtir peu à peu tel ou tel vêtement local, tel ou tel accessoire (je m’en reviens avec un bracelet de ... femme autour du poignet). Mais je me sens trop européen, en dépit de mon enfance africaine et du sentiment d’être ici comme chez moi. “Comme un poisson dans l’eau” me disait Flor à mon sujet, selon sa perception de ma façon de vivre et d’être, ici. Européen, marqué par sa religion du Sujet et de la liberté individuelle. Sa propre histoire de l’art. Je ne renonce à rien ; mais je m’ouvre à tout. Et l’Europe - l’Occident -, en chemin, a tant perdu ... Un traveller français qui fréquente l’Inde depuis 30 me disait qu’alors, entrant dans une boutique, il fallait réveiller le marchand ... ! “Ils se contentait d’un peu de chapati et de beaucoup d’amour”. L’Inde change, forcément ... Dubbaï, la Chine sont si proches ! Un habitant sur 6 est Indien, un autre sur 6 est chinois ... Le XXI siècle sera-t-il sino-indien ? Une machine commerciale armée par les dollars et la technoscience occidentale - entre les mains de plus de 2 000 000 d’habitants ? Et que deviendra l’Europe ? Car Colomb n’avait pas tort : les Indes, c’est l’Amérique ! Et je ressens plus que jamais la lourdeur, l’apathie européenne et française en particulier ; l’enlisement bureaucratique et administratif de la France. Or je n’ai rien d’un capitaliste ... mais il nous manque une telle spontanéité, une telle franchise dans le dire, le faire, l’entreprise, le travail, le contact !

Rien vu, hélas, de la danse classique et traditionnelle qui donne vie et forme à tant de grâces dans la sculpture - voire même, peut-être, inconsciemment, dans les gestes les plus banals. Les mains indiennes, hommes, femmes, enfants et de n’importe quel âge sont sublimes. Un rien me semble pouvoir devenir l’équivalent d’une cérémonie du thé à la japonaise.

Je n’aurai pas vu, non plus, Bénarès ... Autre coeur du coeur hindouiste. Mais je le réserve à plus tard car là plus qu’ailleurs je veux rester longtemps. En bref, toute l’inde, toutes les Indes sont encore à parcourir !

Et que dire du Mandala ancestral ... quelles en sont les multiples significations ?

Je ressens aussi l’existence de quelque chose de dur et d’inhumain à côté - paradoxe, ambiguité - de tant de cordialité et de sourires. Comme si une merde séchée de vache (et la vache elle-même d’où elle tombe bruitamment) était plus sacrée qu’une vie humaine, d’une vie de femme surtout. Mais ce n’est encore qu’un pré-sentiment et je ne l’ai pas vraiment vu, et encore moins montré. Les militaires un peu partout ; ce sentiment de franche dureté dans le massage du barbier ?

Et tant d’autres “mots” encore qui me viennent peu à peu mais ils restent à vérifier. De l’Océan indien, je n’ai donc et bu qu’une goutte d’eau et je n’ai rien de plus à montrer pour l’heure. En termes de superficies, mon “Inde” se résume au fond à 2 “big bazar” : le souk invraisemblable de Pahar Ganj à Delhi et la “main street” de Pushkar. En dépit des centaines de kilomètres parcourus, si peu de km réellement “habités”, et encore ... et pourtant c’est de là, et sans bouger, que tout part, que tout peut partir, de regard en regard, de contact en contact ... pour s’infiltrer, très lentement, comme un filet d’eau, au-delà et au travers des apparences et des surfaces lisses ou dures. Ce photographe se donnait 5 ans pour faire un livre sur l’Inde ; pour ma part, avant de venir, je savais que photographier l’Inde était le travail d’une vie car la richesse et la profusion de ce pays sont tels que les possibilités de photo y sont “endless”. Une armée de photographes professionnels et artistes n’en viendront jamais à bout ... car l’Inde a 5000 ans et chaque jour nouveau s’y ajoute. Inde palimpseste. Un livre qui ne cesse de s’écrire et dont, par conséquent, on j’aura jamais fini de comprendre le sens. Mais le sens est dans le voyage - la fin - impossible, sinon de manière quasi arbitraire - , le but, appartiennent déjà au premier pas du chemin.

Très difficile de prendre une femme en photo. Elles, chaque fois, refusent. Alors que hommes ou enfants en demandent. J’ai pas mal de cartes de visites de personnes à qui envoyer une photo ! Et tous n’ayant pas une adresse mail, je dois imprimer et envoyer par la poste.... L’aventure n’est pas finie ! Pour eux, être regardé, être, vu, se voir en photo est une chose rare - sans doute est-ce une des raisons qui me fait préférer le genre “portrait” à tout autre, en photo. Etre photographié, c’est être vu 2 fois : par le photographe, par le destinataire de la photo ; et se voir soi-même. Les femmes exceptées, prendre les gens en photo est donc généralement très facile ; souvent ils le demandent. Tout se passe, tout le temps, avec le sourire. Un clin d’oeil si je prends la photo à la volée, sans avoir eu le temps de parler un peu ; sinon, je demande, je presse le bouton, je montre la photo ; si c’est un pauvre, je paye, car pour moi c’est un “job exchange”, il m’a donné quelque chose, je lui donne autre chose en retour même si c’est incommensurable à ce que lui m’a donné - ses yeux, son émotion, sa peau ... Et comme je ne peux pas au moins donner à chacun la photo que j’ai prise de lui, reste à ouvrir le porte-monnaie. Faute de mieux. Et je suis payé - quand je le suis ... ! - pour savoir qu’être modèle est un métier mal payé - la satisfaction est ailleurs. J’ai tenté d’expliquer ça à un Indien qui ne comprenait pas pourquoi je donnais des roupies à un enfant gypsy que j’avais pris en photo (à Delhi par contre, cette pratique est naturelle). Pour quelques rares femmes j’ai pu obtenir une photo de mains. Seules deux d’entre elles ont accepté de soulever le voile de leur sari ... Ce sont mes plus belles photos de femmes hindoues (non, elles ne sont pas sur ce blog :-)). Il faut être dans certaines conditions pour qu’une femme accepte d’être prise en photo, mais le code m’échappe encore. Avec celles qui on accepté, que de rires ! Et elles adorent plus que quiconque de se voir ensuite en photo ...

Le lingam est peut-être un emblème de ces contrastes, mélanges, ambiguités. En forme de sexe masculin avoué, mais entouré d’un réceptacle. A la fois sexe et pressoir, sexe et instrument d’anciens sacrifices. Le lingam est partout.

Tant d’odeurs : fleurs, encens, excréments (chien, pigeons, humains ; la bouse de vache est sacrée car utilisée pour le feu, les murs des maisons de village car cette boue chasse les moustique). Les hommes pissent partout à Delhi et ailleurs, n’importe quel arbre, n’importe quel mur fait l’affaire, de jour et de nuit. Mais chaque commerçant que j’ai vu (à Delhi comme à Pushkar) a son coin prière et fait brûler son encens (et dans le hall de l’aéroport international la musique indienne est partout diffusée).

Continent d’émotions.

J’ai revu mes amis gitans dans la rue. Je tente de parler avec eux de leur vie et ce qu’ils en pensent ; mais ces êtres farouches savent ce qu’ils veulent et ce qu’ils ne veulent pas. Je ne porte aucun jugement sur les “gitans” d’aucune sorte. Je suis triste que pour eux comme pour tout être humain, le dieu argent puisse à ce point les amener à des comportements que je réprouve, sans plus. Mais ces comportements sont tellement universels. Et plutôto que de leur donner de l’argent, je préférerais leur consacrer un reportage photo. Y compris chez ces “gitanes” dont l’une m’a peinturluré la main. Très bonnes danseuses paraît-il mais aussi prostituées ; considérées comme des femmes, donc, très peu recommandables ici (officiellement, comme partout ... car personne n’avoue ses fréquentations dérobées). Kam me confirme que les gitans et gitanes sont très recherchées par les touristes pour la richesse de leurs traditions. Fior di Loto a tenté de créer une école dans leurs camps mais elle n’a pu fonctionner. Les gitans sont trop rebelles.

Sur le busines en Inde, une chose est claire : l’argent n’est pas un tabou, loin de là. Je sens même une grande proximité entre le busines à l’américaine et le business à l’indienne : direct, cash et sans honte. Et une fois encore mélange et/ou ambiguité parfait entre argent et religion. Mais en est-il autrement pour nous ? Dans la tradition juive la plus ancienne, la richesse est un signe de bénédiction divine. Pour un marchand indien, les premiers billets de la journée sont les plus importants car porteur de chance. Je vois dans quantité de boutiques un coin prière (éléphant, saïd baba, fleurs, bâton d’encens) ; j’ai déjà vu un patron de resto faire sa prière, tout naturellement, devant ses clients (qui attendaient patiemment de pouvoir payer).

Et d’après Laurent, ne pas négocier avec un marchand est ... une insulte pour le marchand car pour lui, vendre est une forme de jeu, de défi. S’il vend sans négocier, il aura l’impression d’avoir “vendu à un con” et ça ne l’honore pas. Le premier traité de management semble avoir été indien et s’appelait : “comment faire de l’argent”. Il remonte au moins au moyen-âge.

Je me posais des questions sur la fabrique d’écharpes en soie pure dénichées ici. Je me demandais notamment pourquoi ces femmes travaillaient un jour férié (independance day) ; Deepu m’a appris que ce jour férié ne concerne pas le secteur privé. Ici, on bosse ... Surtout, et j’ose lui faire confiance, il me dit que ce boutiquer/manager est un type bien avec ses employées. Ce n’est pas toujours le cas, évidemment. Et les entreprises qui, ici, s’appellent “coopératives” (pour amadouer l’occidental sensible au commerce équitable) fonctionnent parfois bien différemment. Encore et toujours : prudence et expérimentation avant d’aller trop vite, trop loin.

Sur les “gypsys” indiens, voir, par exemple :

Sur les bhopas, différentes appréciations :

Quant à la beauté et la poésie, elle sont omni présentes, il n’y a qu’à se baisser pour la ramasser. Aussi présente que la misère, l’escroquerie, l’urine, les ordures, les touristes (l’Inde est le 5è pays visité au monde). Inutile, ici, d’être grand photographe ... (c’est aussi tout le défi, l’Inde ayant été photographiée des milliards de fois et sous toutes les coutures, par les plus grands et les autres). Mais pour un photographe, c’est un régal de la première à la dernière minute de la journée. Il suffit de rester assis (ou debout), au même endroit, pendant, disons, 30 minutes : à chaque minute il se passe quelque chose qui vaut une photo. Inépuisable. Endless. Fantasmagorique.

Si l’on peut s’asseoir là où nulle ordure ne trouble la vue, alors la beauté est quasi absolue, divine, offerte.

J’ai découvert ici un instrument de musique absolument extraordinaire et dont j’ignorais jusqu’à l’existence. La sonorité produite est indescriptible car rien de tel n’existe en Occident. Cela s’appelle un “hang” et j’espère y tâter un jour ... J’ai rencontré quelqu’un qui en joue de manière divine (le son produit par cet instrument, au service d’un air méditatif, vous transporte par delà les nuages). Instrument produit en Suisse, paraît-il. Je n’ai pu en savoir plus.

Les brahmines à l’âme pur et d’autres pour qui l’on n’est manifestement qu’un “client”. Universel ...

Une anecdote oubliée :

Un soir, ayant achevé tard ma session Internet, je me retrouve seul plongé dans la rue et la nuit ... la rue envahie de chiens aboyants. J’étais peu rassuré ... Kam me dira le lendemain que, dans les croyances indiennes, les chiens se comportent ainsi lorsqu’ils voient certains types d’esprits. Arrivé, enfin, à ma guesthouse, porte close (c’est-à-dire, ici, cadenassée). Massari, un magnifique saddou que j’aime beaucoup, était occupé à murmurer ses prières dans sa “cellule” (c’est quasi une remise) et je n’ai pas voulu le déranger. Et il m’a fallu 20 minutes pour parvenir à réveiller la proprio de la guesthouse.

Je suis resté, de jour en jour, charmé par Pushkar. Certes, il n’y a pas le flot habituel des touristes et des pélerins. Mais la modestie de la taille urbaine (un seul axe principal de 1 km), la poésie de son lac (même quasi totalement asséché), les couchers de soleil, le sourire des enfants ; et le sentiment de liberté étonnant que l’on ressent ici ... je comprends mieux pourquoi, depuis 25 ans, je rêvais d’aller en Inde. En dépit de tout ce qui reste, ici, scandaleux (le sort - horrible - des femmes et des basses castes, par exemple. Mais sur ces questions politico-religieuses, nombre d’Indiens ont entamé la lutte. Des intouchables occupent enfin des positions importantes en politique ou dans l’administration, même s’ils sont encore minoritaires. Et des fondations comme Fior di Loto, même confrontés à une tâche immense - les mentalités ancestrales - donnent un peu d’espoir. C’est un continent 5 fois millénaire, quelques dizaines d’années ne viendront pas à bout d’une telle mémoire.

Et pourtant ... le bonheur d’être ici l’emporte, le sourire des enfants - surtout pauvres - la générosité - des plus pauvres - la cordialité spontanée ou progressive, la facilité du contact où que l’on soit et avec qui que ce soit, la beauté omniprésente même mêlée aux réalités les plus laides et les plus tragiques ; l’immensité de l’espace ... le sentiment qu’ici tout est encore à faire et à inventer même si le processus est entamé ... Je ne sais trop ce qui me fait revenir en Inde ... ça et tout le reste que je ne parviens pas à exprimer ni en mots ni en images. Un sentiment, sans doute, d’être “as myself at home”. La possibilité de rire ou de sourire, en toute occasion. La douleur de ne pouvoir aider chacun des plus miséreux - douloureuse impuissance mais qu’il faut bien assumer, dans la cruelle énigme de l’existence humaine. Me revient subitement à la mémoire ce Sikh de Main Bazar à Delhi qui m’a dit sur moi des choses étonnantes, comme ça, spontanément. En plein Main Bazar. J’aurais voulu pouvoir lui donner plus de temps - je le lui ai promis, pour une prochaine fois.

En ces heures de départ l’émotion m’étreint et je pleure de joie et de tristesse, les yeux remplis de leurs yeux, riant spontanément ou tragiquement implorant, le nez dans toutes leurs odeurs, le coeur touché par tant de générosité, de grâces. Et la hâte de revenir, d’aller plus loin, de goûter plus et mieux maintenant que le bizutage est fait ... Car j’a vu quoi, expérimenter quoi ? Qu’est-ce que je vais montrer de ces 3 petites semaines ? Une perception brute de fonderie, à chaud ; photos à la volée. Ce n’est que maintenant que je vois - ou plutôt que j’entrevois - ce qu’il y a peut-être à aller voir et qui ne se montre pas. Cette premières série de photo “Indian Beauty” ne montrera donc qu’une surface masquant d’autres profondeurs - les plus mystiques comme les plus tragiques et les plus banales (hier à Delhi, mon cireur de chaussures d’il y a 15 jours m’a refait mes pompes - à un autre prix tout de même car le mot “touriste pigeon qui vient d’arriver” s’est un peu effacé de mon front - et je ne suis pas rancunier et j’ai de l’affection pour lui et il doit gagner sa vie comme nous tous) ; mon cireur, donc, était prêt à m’emmener dans le dortoir qui lui sert de maison - enfant seul, me dit-il, sa famille étant disséminée un peu partout en Inde. Mais pas pu faire ce petit reportage. C’est dire si la réalité est encore ailleurs. - Mais où ? Tant “d’apparences” contradictoires et superposées - un écheveau d’apparences. Il n’y a que l’Inde que chacun recherche et veut voir.

La mienne, en ces 3 semaines, ne fut - volontairement - pas celle des temples et de l’art ni des couchers de soleils. Pourtant elle existe et reste à voir - mais à voir autrement. A montrer autrement aussi.

Lors de mon premier cours de photo à Saint-Luc, il y a quelques années, mon prof a commencé son cours en nous disant : “tout a été photographié” (“Ooooooo” de dépit) ; “mais rien n’a été photographié par vous” (Aaaaahhhh d’espoir). Reste donc à trouver le point de vue, l’angle, le sujet - mais c’est inépuisable car tellement photogénique et la réalité semble si complexe. Je suis portraitiste et “L’Inde” est un sujet d’un milliards de sujets de 5000 ans ... Quel fabuleux défi ! J’ai sans doute réalisé 5000 photos mais ce n’est encore qu’un premier travail, les premiers tâtonnements. Le bizutage, disais-je !

J’éprouve déjà un tel attachement pour ce continent, son histoire, ces habitants surtout - leur besoin constant d’entrer en contact, un besoin quasi physique ! Et les enfants sont tellement ... (pas de mots). Les couleurs ... les immensités ... les multiples aspects secrets, nocturnes, énigmatiques ... (mais ils ne sont pas sur les routes touristiques).

Incredible India !


So long, India

see you soon ...

I’ll be back ...

miss you already ...


egon jazz


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